Nouvelles perspectives au sujet des langues officielles – une entrevue avec Tolga Yalkin

 
le 27 mai 2021

Vous êtes en train de vous acquitter de vos tâches quotidiennes et d’effectuer votre travail, puis quelqu’un vous avise que vos attestations de niveaux linguistiques arrivent bientôt à échéance et qu’il est temps de prévoir les examens. C’est la panique!

Du moins, certains ressentent du stress à cet égard. À moins d’être suffisamment compétents pour bénéficier d’une exemption, nous devons tous être évalués pour nos compétences en seconde langue officielle tous les cinq ans. Souvent, nous négligeons de faire le nécessaire pour conserver nos compétences en langue seconde; alors, nous nous inscrivons à des cours, nous demandons à nos collègues de nous parler dans notre langue seconde et nous essayons quelques examens pratiques.  

Pourquoi ne sommes-nous pas plus proactifs pour conserver nos niveaux linguistiques? Est-ce en raison d’un manque de temps, d’occasion ou d’accessibilité? Il peut y avoir toutes sortes de raisons, mais je pense que l’une d’entre elles, à laquelle beaucoup d’entre nous peuvent s’identifier, a trait au courage, c’est-à-dire au fait de se lancer et d’accepter de faire des erreurs. C’est un défi très pertinent lorsqu’il s’agit d’établir et de maintenir des lieux de travail inclusifs.

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Tolga Yalkin

Nous avons invité Tolga Yalkin à nous parler de ses expériences en matière d’apprentissage et de conservation d’une langue seconde. Tolga est sous-ministre adjoint au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et supervise l’équipe des Politiques et programmes en milieu de travail.

Nous avons entendu dire que vous parlez plusieurs langues. Pourriez-vous nous dire lesquelles?

Tolga : En fait, j’ai grandi dans une maison unilingue. Mon père est Turc, mais il ne nous encourageait pas à parler notre langue. À l’âge de 14 ans, j’ai décidé d’apprendre le turc par moi-même, alors ma mère m’a secrètement inscrite à des cours de turc. J’ai atteint un niveau de conversation dans cette langue, mais je n’ai pas réussi à la maîtriser davantage. L’expérience m’a cependant donné le goût d’apprendre d’autres langues comme l’espagnol et l’allemand.

Et le français?

Tolga : Le français n’a jamais vraiment été une priorité pour moi jusqu’à ce que je déménage à Ottawa et que je commence à travailler pour le gouvernement fédéral. J’ai été recruté dans un poste non impératif, et quand est venu le temps de subir les examens, j’ai passé environ six semaines à Jonquière dans une famille francophone et j’ai suivi une formation au Collège linguistique de Jonquière. C’était ma première exposition importante au français. Et j’ai trouvé vraiment difficile de m’immerger dans un milieu francophone sans pouvoir m’exprimer couramment en français. Je me sentais très isolé. Mais en rétrospective, ça a été le moyen le plus rapide de me donner une base en français.

Cela vous a-t-il découragé d’apprendre le français?

Tolga : Lorsque j’étais à Jonquière, je me suis mis beaucoup de pression sur les épaules, mais à un moment donné, quelque chose en moi a changé. Je n’avais pas vraiment d’autre choix que d’adoucir mon objectif. Je me disais : « Tu sais quoi, tu travailles fort et tu ne seras jamais parfait, alors détends-toi. » Si je me paralyse en faisant pression sur moi pour que je sois toujours parfait, cette méta-analyse va m’empêcher de communiquer. Et je crois qu’il s’agit ici de l’élément clé : le fait de trop y penser. Il n’est pas très logique de croire que la façon d’acquérir un certain degré de compétence dans un domaine quelconque, c’est d’y réfléchir sans arrêt. C’est comme le tennis. Si vous voulez être bon, vous ne pouvez pas seulement lire sur le sujet. C’est tout votre corps qu’il faut investir dans l’apprentissage. Et je pense qu’il en est de même pour apprendre une langue.

Les choses ont donc vraiment commencé à changer après cette prise de conscience?

Tolga : Eh bien, pour moi, parler une langue, ce n’est pas tant le fait de communiquer, de simplement écrire quelque chose ou encore d’être compris. C’est plutôt une démarche artistique. Lorsque vous parlez, vous projetez une impression ou vous adoptez un ton qui reflète la personne que vous êtes; c’est là une expérience qui me motive. Dans un certain sens, je préfère parler en français qu’en anglais parce que je peux ainsi parler différemment ou même de penser différemment, et je perçois d’une autre manière la façon dont les gens s’engagent dans les choses. Cela dit, il y a évidemment de nombreux moments où je me sens plus à l’aise en anglais étant donné le degré de précision avec lequel je dois exprimer mes idées. Et je pense que c’est correct; c’est normal.

C’est vraiment intéressant. Je ne pense pas avoir jamais entendu quelqu’un l’exprimer de cette façon – qu’il ne s’agit pas seulement de communiquer, mais de trouver une nouvelle façon d’exprimer quelque chose ou de s’exprimer soi-même.

Tolga : Exactement. Et j’ai l’impression que nous travaillons à contre-courant lorsque nous accordons trop d’importance aux choses mêmes (lire : détails) qui empêchent les gens de s’exprimer efficacement de vive voix. Je peux voir dans les yeux des gens à quel point ils réfléchissent et analysent leurs pensées lorsqu’ils s’efforcent de trouver exactement les bons mots et les bons temps de verbe. Et pour les examens oraux, on accorde beaucoup d’importance aux aspects techniques. Le fait que l’on vérifie cette habileté plutôt que l’ouverture des gens et leur capacité de parler la langue avec un certain degré d’abandon mérite au moins que cette question soit discutée et examinée.

Je suis au gouvernement depuis près de 20 ans, et je pense que de tous les cadres supérieurs qu’il m’ait été donné de rencontrer, vous êtes le premier à vous exprimer parfaitement dans les deux langues durant les réunions et à passer d’une langue à l’autre de façon égale, plutôt que de vous contenter d’ajouter une ou deux phrases en français. Comment y arrivez-vous si facilement?

Tolga : Il faut s’exercer, évidemment. Mais je fais aussi ce truc mental où, au lieu d’être Tolga, je suis Tolga [prononcé avec un accent français]. Et je parle français tous les jours, socialement et au travail, où on passe régulièrement d’une langue à l’autre. Notre façon d’occuper notre temps et de déployer nos efforts aura une incidence sur la personne que nous serons et le cheminement que nous suivrons à l’avenir. Encore une fois, le tennis est un bon exemple; je ne joue pas souvent, alors quand je m’y remets, je me sens rouillé et il faut un certain temps pour me sentir à l’aise. Si je jouais de temps à autre pendant la semaine, je serais bien meilleur. C’est la même chose pour le français.

Je suppose que ce qui est souvent difficile, c’est de savoir par où commencer ou à qui demander de l’aide pour améliorer sa façon de conserver ses compétences en langue seconde. Que diriez-vous à quelqu’un qui demande des conseils ou des astuces pour savoir par où commencer?

Tolga : Je leur dirais de vraiment s’efforcer pour que l’apprentissage d’une langue seconde vaille la peine. Si vous vous concentrez SEULEMENT sur le fait de réussir l’examen, vous réussirez peut-être, mais vous ne tirerez probablement pas grand-chose de plus de cet exercice. Et je pense que vous vous sentirez davantage frustré et stressé d’y mettre le temps et les efforts que si vous prenez la chose avec du recul et vous vous demandez quelle est la valeur intrinsèque d’apprendre une langue seconde, pourquoi est-ce important pour vous et comment vous vous y prenez pour l’apprendre et que vous abordez ensuite tout le processus en ayant ces valeurs et ces motivations à l’esprit. Je soulignerais également que ce processus peut offrir des possibilités de croissance vraiment profondes. Et non seulement sur le plan personnel, mais aussi pour la fonction publique. Nous ne sommes plus la fonction publique d’il y a 50 ans, lorsque nous avons commencé à essayer de transformer une organisation à prédominance anglophone en une organisation vraiment bilingue. Nous avons évolué depuis. Je pense que la prochaine étape sera de concrétiser la promesse du bilinguisme au Canada. Nous avons l’occasion de nous demander comment nous pouvons répondre à de grandes attentes et remplir cette promesse.


Cet entretien avec Tolga nous a grandement inspirés. Pendant que nous l’écoutions, nos expériences passées pour conserver nos connaissances en langue seconde officielle nous revenaient à l’esprit. Si vous ressentez la même chose en ce moment, vos expériences passées ne sont pas anodines, elles sont au cœur de nos efforts visant à améliorer la diversité et l’inclusion dans la fonction publique.

Si vous cherchez des idées sur la façon de maintenir vos connaissances dans votre seconde langue officielle, l’École de la fonction publique du Canada (EFPC) a une section consacrée à ce sujet :

Vous pouvez également vous renseigner auprès de votre gestionnaire ou de votre conseiller en ressources humaines pour savoir quel type de soutien en matière de langues officielles est offert dans votre organisation. Et n’hésitez pas à partager ce qui fonctionne pour vous dans les commentaires ci-dessous.


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Commentaires

Soumis par Robert Gariépy le ven 28/05/2021 - 15:16

Je trouve le billet de Tolga intéressant, encourageant et inspirant. En tant que francophone, j'apprécie énormément quand une personne fait l'effort de parler français, la correctitude de l'expression n'est pas très importante. C'est le message qui compte, et avec lui il y a un message d'inclusion fondamental à l'endroit de tous les francophones. Ce message d'inclusion est précieux.

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